SAINT-DENIS, France — Sha'Carri Richardson, à genoux sur la piste mouillée, a regardé l'écran vidéo. Ce qu'elle a vu, peut-être les derniers temps de la course, a confirmé ce qui devait lui sembler surréaliste. Deuxième place.
Richardson hocha la tête, comme si elle approuvait sa réalité. Acceptant le défi. Puis elle se leva, frappa calmement des mains, puis fit son rituel consistant à embrasser sa main et à pointer vers le ciel. Un sourire mesuré sur son visage, regardant la mer de fans en liesse, elle avait l'air déchirée.
Remporter une médaille d'argent sur la plus grande scène de son sport doit être une source de plaisir. Passer d'Oak Cliff au Texas au podium olympique est un rêve devenu réalité. Remporter une médaille d'argent sur la plus grande scène de son sport doit aussi être une source de désespoir. De déception. Les attentes modifient les paradigmes.
Une médaille d'argent, c'est bien, mais c'est aussi l'ennemi de la grandeur qu'elle est censée devenir. C'était censé être son moment. Cette soirée devait se terminer avec une couronne sur la tête en tant que reine du sprint. La femme la plus rapide du monde. Seule une médaille d'or semble digne de ses capacités.
Mais si quelqu’un connaît cette vérité, c’est Richardson : quand ce n’est pas votre heure, ce n’est pas votre heure.
Elle a dû attendre trois ans de plus pour faire ses débuts olympiques, à cause d'un test positif à la marijuana qui lui a valu une interdiction un mois avant les Jeux de Tokyo. Elle doit maintenant attendre quatre ans de plus pour gravir cette montagne. Son onction a encore été retardée.
Julien Alfred vient de remporter la PREMIÈRE médaille olympique de l'histoire de Sainte-Lucie ! 🇱🇨 #JeuxOlympiquesParis pic.twitter.com/2GP4jATT2g
— Jeux olympiques et paralympiques de NBC (@NBCOlympics) 3 août 2024
Car cette soirée appartenait à Julien Alfred et à sa nation, Sainte-Lucie, qui ont tous deux remporté leur première médaille d'or en athlétisme. Elle ne laissait aucun doute sur à qui appartenait cette étape. Alfred a battu Richardson à deux reprises, en demi-finale ensemble et dans la course à la médaille, cette dernière étant plus convaincante que la première.
Alfred était si fougueux que Richardson ne l'a même pas menacée. Alfred a remporté le 100 mètres féminin en 10,72 secondes, décrochant ainsi la première médaille de son pays. Le temps de 10,87 secondes de Richardson lui a permis de remporter l'argent, sa première médaille olympique.
Le chrono de 10,92 secondes de l'Américaine Melissa Jefferson lui a valu le bronze.
« Je me suis dit une chose : ‘tu ne vas pas repartir d’ici déçu, bouleversé et les mains vides’ », a déclaré Jefferson. « Et nous y sommes. »
Les problèmes de Richardson au départ l'ont mise dans une situation délicate pour commencer les deux courses de samedi. Elle y parvient généralement grâce à sa vitesse de pointe. Et elle a réussi quelques bons chronos, dont 10,89 en demi-finale. Mais elle n'a pas réussi à rattraper Alfred. Pas ce soir-là.
Ce n'est pas rare dans le sprint. Les grands talents ont de grandes soirées. Richardson a été à la fois vainqueur et victime d'une grandeur singulière.
Pourtant, tout cela était prévu pour le couronnement de Sha'Carri. Elle a été dominante toute l'année, la sprinteuse classée n°1 au 100 m.
La Jamaïque, qui domine le sprint féminin, a perdu ses trois meilleures sprinteuses. La championne en titre Elaine Thompson-Herah et la future championne Shericka Jackson ont abandonné plus tôt. La légendaire Shelly-Ann Fraser-Pryce a été retirée de la course en demi-finale.
La porte était grande ouverte pour Richardson. Alfred la franchit plus vite que prévu.
SAINTE-LUCIE AU MONDE ‼️
Julien Alfred de 🇱🇨 remporte la médaille d'or olympique du 100 m avec un temps de 10,72 🤩
C'est la première médaille de l'histoire des Jeux Olympiques pour son pays. #Paris2024 #Jeux olympiques pic.twitter.com/3c92Ql9EoP
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Richardson pourrait encore remporter une médaille d'or au relais 4×100 le 9 août. Les États-Unis semblent être les grands favoris, surtout si la Jamaïque est compromise. Mais le 100 est l'épreuve phare. C'est sa principale discipline. C'est sa vocation.
Richardson n'a pas réussi à offrir aux États-Unis leur première médaille d'or au 100 mètres féminin depuis Gail Devers en 1996. Elle n'a pas non plus réussi à rendre aux Américaines la gloire de l'or, une quête qu'elles poursuivent depuis que Marion Jones s'est vu retirer ses médailles d'or des Jeux de Sydney en 2000.
Richardson était considérée comme celle qui allait réussir, redonner aux États-Unis leur statut de puissance en athlétisme. Elle a tous les atouts pour y parvenir : le talent, l'éthique du travail, la personnalité d'une superstar et les qualités requises. Sa valeur est incontestable.
Elle l'a prouvé lors des Championnats du monde 2023, lorsqu'elle a battu toutes les meilleures à Budapest. La défaite de samedi a été si étonnante en raison de la formidable performance qu'elle a réalisée en 2024.
Ce qui lui manque, c'est l'or olympique. Son titre de légende américaine de l'athlétisme est donc remis à plus tard. Même si elle a prouvé qu'elle était l'une des meilleures au monde, c'est sur la scène olympique qu'elle laisse son héritage.
Tant qu'elle n'aura pas remporté une médaille d'or olympique, la prophétie de sa grandeur ne se réalisera pas. C'est le fardeau de Sha'Carri.
Les questions sur sa future future grande sprinteuse américaine vont se poser d'ici là. Elle a choisi de ne pas répondre aux questions après la course. Mais elles resteront là jusqu'aux Jeux de Los Angeles en 2028.
Elle semble inévitable qu'elle y parvienne, qu'elle atteigne le sommet de son sport. Elle n'a que 24 ans. Elle a toujours un talent particulier. Et si la façon dont elle a géré l'adversité jusqu'à présent est une indication, elle en sortira grandi aussi.
Un moment décisif sur le sol américain serait un point d'orgue approprié à ce voyage épique. À Los Angeles, la capitale des scénarios ? L'idée a quelque chose de poétique. Il ne lui reste plus qu'à patienter quatre ans de plus.
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(Photo de Sha'Carri Richardson et Julien Alfred : Benoit Doppagne / Belga Mag / AFP via Getty Images)