
Les secouristes français ont emballé leur matériel avec une efficacité éprouvée. Les tentes médicales. Les civières. Les cordons de sécurité.
Peu de temps après que les derniers corps aient été évacués du quai de Boulogne, les ambulances restantes et les véhicules d'urgence rouges sont partis également, ne laissant qu'une poignée de fonctionnaires debout dans la lumière déclinante à côté de quelques filets de pêche effilochés près du mur du port.
« C'est tellement bouleversant », a déclaré Frédéric Cuvillier, maire de Boulogne, réfléchissant à la manière dont cette longue crise migratoire en constante évolution a remodelé – et traumatisé – le littoral nord de la France.
« Ces gens fuient la mort et finissent par mourir ici. Des mères, des enfants… persuadés qu’ils trouveront une vie meilleure de l’autre côté de la Manche », explique Cuvillier, en faisant un geste vers l’ouest, en direction d’une mer grise.
Immédiatement après de tels incidents, j'ai remarqué – pour en avoir déjà été témoin cette année – un écart grandissant entre la façon dont les Français et les Britanniques réagissent.
Au Royaume-Uni, les autorités ont rapidement mis l'accent sur les réseaux de passeurs et les ont condamnés. Chaque incident, chaque décès, est considéré comme le résultat d'une activité criminelle cynique. Ce qui est bien sûr le cas.
Une fois de plus, les passeurs ont entassé un nombre bien trop important de leurs clients payants dans des bateaux apparemment de plus en plus fragiles, sans gilets de sauvetage en nombre suffisant.
Ici, dans le nord de la France, la police a les mêmes objectifs. Elle est préoccupée par la tâche consistant à patrouiller des portions toujours plus grandes d’un littoral de plus en plus militarisé. Elle dispose désormais de davantage de personnel, de buggys, d’équipements de vision nocturne et de drones spéciaux capables de détecter les groupes de migrants cachés dans les dunes.
Mais la police est consciente qu'à mesure qu'elle étend ses opérations – en grande partie financées désormais par les contribuables britanniques – les bandes de passeurs réagissent, trouvent de nouveaux moyens de traverser, et mettent souvent les migrants eux-mêmes en danger.
Les gangs lancent désormais leurs bateaux à l'intérieur des terres, depuis les canaux ou le long de la côte française, ce qui signifie des trajets beaucoup plus longs pour traverser un bras de mer très fréquenté, encombré de navires commerciaux et tiré par de puissantes marées.
Les gangs entassent toujours plus de gens dans des bateaux pneumatiques de qualité de plus en plus douteuse – parfois 90 personnes dans un bateau conçu, ou à peine conçu, pour en accueillir 40. Le problème est exacerbé à mesure que les autorités réussissent à perturber l'approvisionnement en bateaux amenés sur les côtes depuis l'Europe profonde.
Les passeurs ont de plus en plus recours à la violence. Ils jettent des pierres sur les policiers sur les plages. Ils brandissent parfois des couteaux.

J'ai récemment vu des images de la police d'une gendarmerie locale montrant ce qui ressemblait à une autre bataille rangée sur une plage à l'aube, avec des policiers équipés de boucliers anti-émeutes se défendant contre une pluie de pierres. J'ai moi-même été témoin d'une autre bataille en avril.
L'objectif des passeurs est de gagner quelques précieuses secondes pour mettre leurs bateaux et leurs passagers à l'eau, après quoi la police – craignant d'être accusée d'avoir mis les gens en danger encore plus – intervient rarement.
Mais alors que la police a ses devoirs et ses dangers à affronter, pour les politiques français et les civils des stations balnéaires disséminées le long de ce littoral, la réaction à un énième incident mortel n'est pas de se concentrer sur la criminalité des passeurs, mais sur les motivations des migrants, sur ce qui pousse encore tant d'entre eux à tenter cette traversée dangereuse.
Et la conclusion brutale, répétée si souvent par les maires locaux, par les retraités, par les couples promenant leurs chiens sur les plages où ils craignent désormais de tomber sur des corps échoués, est que c'est la faute de la Grande-Bretagne.
Après avoir observé l’évolution de cette crise au fil des décennies, depuis les camps autour du tunnel sous la Manche et les ports de ferry, jusqu’au phénomène plus récent des petits bateaux, de nombreux Français ressentent profondément la façon dont leurs propres vies et communautés ont été transformées par une crise qu’ils considèrent comme d’origine britannique.
Le ministre français de l'Intérieur, Gérald Darmanin, l'a évoqué mardi sur le port de Boulogne.

Il a condamné les passeurs, mais la plupart de ses commentaires se sont concentrés sur l'attrait de ce qu'il considère comme le marché du travail peu réglementé de la Grande-Bretagne, qui agit comme un aimant, attirant les jeunes Érythréens, les Soudanais déterminés, les Afghans, les Syriens et les Irakiens vers ce littoral, convaincus que s'ils parviennent à traverser ce dernier et court bras de mer – ou même à mi-chemin – ils finiront dans un pays où ils pourront trouver du travail, même sans les bons papiers.
Darmanin a appelé, comme il l'a fait à de nombreuses reprises, à un nouveau traité sur les migrants entre la Grande-Bretagne et l'Union européenne.
Ce faisant, il a évoqué une idée largement répandue en France, selon laquelle, quels que soient les efforts déployés pour lutter contre les réseaux de passeurs, ils ne seront jamais suffisants. Il s’agit d’une crise alimentée par les revendications de dizaines de milliers de migrants déterminés, plutôt que par les motivations lucratives d’un réseau de criminels.
Il existe une autre différence entre la réaction de la Grande-Bretagne et de la France à de tels moments. On peut le constater dans les gros titres des journaux et à la télévision.
La crise des petits bateaux fait peut-être la une des journaux au Royaume-Uni, mais en France – un pays actuellement préoccupé par ses propres troubles politiques et, franchement, fatigué de la situation sur sa côte nord – même douze décès dans la Manche font à peine la une des journaux.