De nouvelles allégations d'abus ont été portées contre l'abbé Pierre, défunt prêtre catholique français et militant qui a longtemps été vénéré comme un saint des temps modernes.
En juillet, l'association Emmaüs, fondée par l'abbé Pierre, a déclaré : il avait entendu des allégations d'agression sexuelle et de harcèlement de sept femmes et il les croyait.
Emmaüs a décidé de radier l'abbé Pierre de l'organisation après que 17 nouvelles femmes ont dénoncé les abus qu'il leur a infligés.
Le prêtre, décédé en 2007 à l'âge de 94 ans, apparaissait régulièrement dans les sondages comme l'un des Français les plus populaires des temps modernes en raison de son travail inlassable en faveur des pauvres et des sans-abri.
Le mouvement Emmaüs, qu'il a fondé en 1949, est présent dans plus de 40 pays. En France, sa silhouette barbue et vêtue d'une cape est devenue l'emblème du sacrifice chrétien.
Aujourd'hui, suite à une deuxième publication de témoignages recueillis par le cabinet indépendant Egaé, le mouvement a décidé de retirer le nom de l'abbé Pierre de ses différentes organisations.
La Fondation Abbé Pierre va changer de nom, tandis que le conseil d'administration d'Emmaüs France va se prononcer sur la suppression du nom du prêtre de son logo. Le Centre Abbé Pierre d'Esteville, en Normandie, où il a vécu de nombreuses années et est enterré, va fermer définitivement.
Une décision sera également prise sur la manière de se débarrasser des centaines de statuettes, bustes et autres images du créateur de l'association.
« Nous sommes sous le choc, très blessés et très en colère », a déclaré Christophe Robert, président de la Fondation Abbé Pierre. « Nous apportons tout notre soutien à toutes les victimes qui ont eu le courage de témoigner. »
Un premier coup est tombé en juillet lorsque le mouvement Emmaüs a révélé les allégations de sept femmes, qui disaient avoir été victimes d'agressions sexuelles prenant principalement la forme d'attouchements sur la poitrine et de baisers non désirés.
Les 17 femmes qui se sont manifestées depuis ont formulé des allégations qui sont dans certains cas plus graves.
Une femme, surnommée « J » par le cabinet Egaé, a déclaré avoir été forcée de pratiquer une fellation sur l'abbé Pierre et de le regarder se masturber. « J » est aujourd'hui morte mais elle a raconté son histoire à sa fille.
Le rapport du cabinet comprend également l'expérience d'une femme prénommée « M » qui, dans les années 1990, s'est adressée au prêtre en détresse, demandant de l'aide pour trouver un logement.
« Leurs quelques dizaines de rencontres étaient toujours accompagnées de baisers forcés et d'attouchements sur les seins. L'abbé Pierre lui posait la main sur les parties intimes à travers son pantalon », selon le rapport.
Une autre accusation concerne une fille, désignée « X », qui n’avait que huit ou neuf ans lorsque le prêtre aurait abusé d’elle au milieu des années 1970, lui touchant la poitrine et l’embrassant « avec sa langue ».
Un membre du personnel de l’Assemblée nationale, où l’abbé Pierre fut député de 1945 à 1951, aurait déclaré qu’« il se comportait comme un prédateur sexuel, qui agressait ses collègues féminines et avait des relations sexuelles avec elles ».
Le rapport Egaé indique qu'il existe de nombreux autres témoignages, mais qu'il a omis ceux qui ont été donnés de manière anonyme ou pour lesquels les plaignants ont hésité à révéler des détails complets. Les allégations les plus récentes concernent l'âge de 92 ans du prêtre.
La chute soudaine d'une icône contemporaine – il avait fait l'objet l'an dernier d'un film biographique hagiographique – a été accueillie avec moins de surprise qu'on aurait pu s'y attendre. Les révélations successives sur les abus sexuels commis dans l'Église catholique ont contribué à cette surprise.
Ce qui est encore plus déconcertant pour beaucoup, c’est l’accumulation de preuves montrant que les collègues d’Emmaüs – et de l’Église catholique – étaient au courant du comportement sexuel de l’abbé Pierre, mais n’ont pas dénoncé ce comportement.
Cela s’explique en partie par le fait qu’à l’époque – les premières agressions présumées ont eu lieu dans les années 1950 – ces actes n’étaient pas pris très au sérieux.
Mais lorsque les histoires des avances non désirées de l'abbé Pierre sont devenues impossibles à ignorer, il semble certain que l'Église et la charité se sont entendues pour garder son nom hors de la presse, et ainsi préserver son œuvre en faveur des pauvres et des sans-abri.
Né Henri Grouès en 1912 à Lyon, l'abbé Pierre fut ordonné prêtre en 1938 et prononça vœu de chasteté. Résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, il devint célèbre à l'hiver 1954 lorsqu'il lança un appel célèbre en faveur des sans-abri.
Selon une enquête du journal Le Monde, la hiérarchie ecclésiastique aurait eu connaissance de son comportement prédateur l'année suivante, lorsque, lors d'une visite aux Etats-Unis et au Canada, il lui aurait été demandé d'écourter son voyage en raison de plaintes de femmes.
Le biographe Pierre Lunel raconte qu’après l’appel de 1954, « il y avait des groupies de toutes sortes qui voulaient juste lui arracher un poil de la barbe. C’était un culte du héros total. À ce moment-là, il y avait vraiment des aventures sexuelles. »
En 1957, l'abbé Pierre se rendit dans une clinique en Suisse, soi-disant pour se remettre d'un épuisement, mais en réalité pour éviter les ennuis. L'Église exigea alors qu'il soit accompagné par un « socius », un assistant de l'Église dont la véritable tâche était de le surveiller.
En fait, à partir des années 1960, ses relations avec l'Eglise s'éloignent, tandis que son œuvre caritative devient une organisation vaste et complexe. Pendant les quarante années qui suivent, il reste une figure de proue et une référence en France en matière d'humilité et de don de soi.
S'exprimant lundi, le responsable d'Emmaüs international, Adrien Caboche, a confirmé que pendant tout ce temps, le non-respect du vœu de chasteté de l'abbé Pierre n'était pas un secret pour ceux qui étaient au courant.
« Nous savions bien sûr que l’abbé Pierre avait une vie affective et sexuelle. Mais nous avons tous été stupéfaits par l’aspect violent qui a été révélé aujourd’hui. »